Droits humains et entreprises:
Opération Sirli: Monsieur le Ministre, combien de cas de violations
des droits humains faut-il encore avant d’adopter enfin une
législation sur le devoir de diligence?
Luxembourg, le 13 décembre 2021
Suite à la question parlementaire du parti déi lénk concernant l’implication de l’entreprise luxembourgeoise CAE Aviation dans l’opération militaire Sirli en Egypte, qui aurait coûté la vie de nombreux civils selon le média indépendant Disclose, le Ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) se décharge de toute responsabilité et obligations à
l’égard des victimes civiles. Or, selon l’Initiative pour un devoir de vigilance,
cette affaire montre que l’Etat ne dispose pas d’instruments adéquats pour
respecter son obligation de protection contre des violations des droits
humains par des acteurs économiques. Une obligation qui est définie par les
Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits
humains. L’adoption d’une législation nationale sur le devoir de diligence
permettrait de responsabiliser les acteurs économiques en les obligeant à faire
une analyse des risques sérieuse des impacts en matière de droits humains.
Tout d’abord, l’Initiative aurait espéré une réponse plus approfondie de la part du
gouvernement à la question parlementaire compte tenu la gravité de la situation.
Face aux bombardements par l’armée égyptienne* qui auraient semé la mort parmi la
population civile suite à des informations recueillies par l’entreprise
luxembourgeoise, le Ministère répond brièvement que «le gouvernement ne
considère pas que cette participation puisse tomber sous le champ d’application de
la loi de 2018» sur le contrôle des exportations. Ceci, même si l’article premier
mentionne clairement que «l’assistance technique liée à certaines destinations
finales militaires» y fait partie.
D’un autre côté, nous savons que l’affaire concernant l’entreprise CAE Aviation
tombe très certainement sous le champ des Principes directeurs des Nations Unies
sur les entreprises et les droits humains. Selon le Principe I: «Les États ont
l’obligation de protéger lorsque des tiers, y compris des entreprises, portent atteinte
aux droits de l’homme sur leur territoire et/ ou sous leur juridiction. Cela exige
l’adoption de mesures appropriées pour empêcher ces atteintes, et lorsqu’elles se
produisent, enquêter à leur sujet, en punir les auteurs, et les réparer par le biais de
politiques, de lois, de règles et de procédures judiciaires».
Après le scandale de l’espionnage de journalistes et défenseurs des droits humains
par l’entreprise NSO, cette nouvelle affaire montre donc à nouveau la nécessité d’une législation sur le devoir de diligence qui pourrait contribuer à prévenir des
violations des droits humains. Elle démontre également le danger du vide juridique
actuel concernant la question des entreprises et droits humains. Que l’Etat se
dé charge de sa responsabilité car il n’y a pas de législation adéquate n’est pas
acceptable.
Ce nouveau cas montre clairement que non seulement de grandes entreprises
peuvent être impliquées dans des violations des droits humains mais également des
petites et moyennes entreprises (PME).
D’après les informations fournies par Disclose, il semble que l’entreprise
luxembourgeoise CAE Aviation (avec un nombre d’employés 160) ne se serait pas
acquitté de sa responsabilité de respecter les droits humains d’après les Principes
directeurs. L’entreprise a fourni du matériel et du personnel de surveillance aérien
pour l’opération Sirli menée en Égypte par l’armée française «dans le contexte de
lutte contre le terrorisme mais dont les informations ont été détournées et utilisées
par le régime égyptien pour commettre des exécutions arbitraires de civils
soupçonnés de trafic».
Selon ces informations, un accord technique définissant le cadre, les objectifs et
surtout les limites de l’opération n’a jamais été signé par la France et l’Egypte. On
peut donc se demander pourquoi l’entreprise a décidé de fournir du matériel et du
personnel pour une mission militaire dont les termes ne sont pas clairs. Selon les
estimations de Disclose, «l’opération Sirli aurait permis à CAE Aviation d’empocher
L’initiative pour un devoir de vigilance, composée de 17 organisations de la société
civile, demande au Ministre des Affaires étrangères et européennes, d’agir en
introduisant une loi nationale sur le devoir de diligence des entreprises afin de
prévenir les violations des droits humains au niveau de leurs activités économiques.
L'entreprise doit quant à elle se conformer impérativement aux Principes directeurs
dès à présent en assurant un devoir de diligence afin de prévenir des violations de
droits humains du fait de ses activités et en redressant d'éventuels impacts négatifs
de leurs activités sur les droits humains.
*Letzebuerger Land du 26.11.2021 page 7
Comments